Dans les moments douloureux, nous avons tous ce besoin d'exprimer ce que nous ressentons pour arriver à se reconstruire et prendre un nouveau départ. Pour les artistes, ils le font en utilisant le moyen d'expression qu'ils affectionnent le plus et, dans ce cas précis, 'Anne-Claire Rallo', la femme d'Eric Bouillette', décédé bien trop tôt, a mis en œuvre tous ses talents de compositrice et de parolière pour nous emmener dans un voyage progressif d'une intensité émotionnelle formidable. Elle nous offre un magnifique album concept qui est l'histoire de 'Charlie' et de 'Hope', 'Charlie' se réveillant un matin seul sans sa compagne et qui part à sa recherche dans un monde qu'il ne reconnait pas et dans lequel nous le suivons tout au long de son aventure.
Entourée de ses amis musiciens proches qui participent au projet 'Nine Skies' avec le multi-instrumentaliste 'Alexandre Lamia', le bassiste 'Alexis Bietti' et le batteur 'Johnny Marter', elle a également fait appel à 'Martin Wilson' de la formation 'The Room' et à 'Helen Tiron' de 'Sun Q' pour incarner les deux personnages principaux, les deux chanteurs participant activement à transmettre cette émotion palpable tout au long de l'album qui contient également des parties de démos qu'Anne-Claire et Eric avaient commencé à travailler ensemble. On peut également noter que 'John Mitchell' qui est bien connu dans le monde du progressif (entre autres 'Lonely Robot' et 'Arena') a mixé et mastérisé l'album.
Après l'introduction instrumentale atmosphérique 'Prologue – The Awakening' qui nous immerge petit à petit dans l'histoire avec une narration d'Andy Rowe', 'Come Back To Earth' déroule un lent tempo sur lequel 'Martin Wilson' nous fait une première prestation vocale prenante avec ces quelques mots répétés sous la forme d'une prière remplie de souffrance (voir la vidéo ci-dessus), puis, introduit par des bruits de radio, 'People In Their Cages' durcit le ton pour dénoncer ce malaise actuel qui conduit l'homme à être amputé de sa liberté de penser dans ce monde de sur-communication, la musique dégageant une atmosphère oppressante bien en phase avec le thème. Plus calme, 'Where Have You Been' est une ballade plaintive dans laquelle 'Martin Wilson' fait encore des merveilles et qui bénéficie d'un accompagnement de saxophone de 'Laurent Benhamou' (également 'Nine Skies') qui file la chair de poule, puis, nous arrivons à la pièce maitresse qui, à elle seule vaut l'achat de cet album et qui monte le curseur émotionnel de plusieurs crans, l'atmosphère dégagée par 'Martin Wilson' dans son chant me rappelant la force émotionnelle qu'amène 'Alan Reed' avec 'Pallas'. Cette épopée progressive de plus de 13 minutes est un modèle du genre et nous fait passer par toutes sortes d'émotions en alternant des moments d'une puissance exceptionnelle comme ce passage instrumental à 4 minutes, et d'autres d'une sensibilité extrême comme ce qui suit à 5.30 avec cette partie de piano magnifique qui se poursuit avec une partie chantée déclenchant, pour ma part, de multiples frissons de plaisir, et qui est elle-même suivie d'un méga solo de guitare dans un final extraordinaire: tout simplement divin !!
Nous poursuivons notre voyage fort en émotions avec 'Sweet Confusion' qui, après une douce introduction au piano, développe une partie entraînante déroulant une mélodie accrocheuse avec un chant toujours très prenant de 'Martin Wilson', puis le duo piano/violon en milieu de titre ajoute un break instrumental mélancolique magnifique pour poursuivre sur l'échange chanté d'une belle délicatesse entre 'Charlie' et 'Hope', le solo de guitare venant parachever ce très beau titre. Plus contrasté, 'On The Run' débute dans une ambiance atmosphérique 'Floydienne' puis prend un tournant plus musclé avec la partie chantée et offre un beau break pianistique dans la deuxième partie du titre. Autre bijou mélodique, 'Take A Little Time (The Encounter)' montre une belle délicatesse avec, de nouveau, ces magnifiques échanges entre 'Martin Wilson' et 'Helen Tiron' dégageant une émotion extrême. Avec l'introduction de 'A New Path', j'ai l'impression d'entendre une sorte de mélange de 'Pink Floyd' et d'Arena' qui se poursuit sur une longue partie chantée dans une ambiance plus lourde mettant en avant la section rythmique basse/batterie d'Alexis Bietti' et 'Johnny Marter', le final acoustique très calme provoquant un contraste original à l'ensemble en amenant doucement vers l'épilogue mélancolique de l'acceptation de ce nouveau monde qui s'ouvre à 'Charlie', guidé par la voix de 'Hope' qui murmure sereinement 'Wake Up' et 'Welcome To A brand New World'.
En résumé, 'Anne-Claire Rallo', entourée par ses amis qui sont tous des musiciens et chanteurs de talent (auxquels on peut rajouter 'John Mitchell' qui a fait un excellent travail de production), nous offre une œuvre musicale qui va bien au-delà d'un simple album de progressif en amenant une intensité émotionnelle exceptionnelle tout au long de cette histoire qui ne peut que toucher l'auditeur. 'A Brand New World' est un merveilleux hommage à 'Eric Bouillette' et devrait être sans aucun doute sur le podium des meilleurs albums de progressif de l'année 2024 qui est déjà un grand millésime dans ce style de musique... | |